NOUVELLE LOI SUR LA SOCIETE ANONYME

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Édition du 14/11/1996, publié dans l’économiste, par Jaouad Chbani Idrissi

Nouvelle loi sur la société anonyme : La responsabilité des administrateurs et des commissaires aux comptes interpellée

La nouvelle loi sur les sociétés anonymes suscite beaucoup d’interrogations auprès des opérateurs économiques et des professionnels experts-comptables et commissaires aux comptes. L’auteur de cet article tente de mettre en relief les nouveautés de cette loi en mettant l’accent, dans un premier temps, sur les obligations des organes d’administration, de direction et de gestion dans le cas d’une SA avec un conseil d’administration.


ENFIN, après de longues années, depuis 1867, diraient certains, ou 1922 pour d’autres, la loi sur les sociétés anonymes a vu le jour officiellement dans le Bulletin Officiel (BO) du 17 octobre 1996 et après avoir été à l’ordre du jour depuis plus d’une décennie.
Pourquoi ces deux dates? La réponse se trouve dans la loi du 11 août 1922 qui a repris les dispositions relatives aux sociétés anonymes contenues dans le code de commerce français de 1867. Hasard ou coïncidence, la nouvelle loi sur les sociétés anonymes (SA) est née avec deux dates. Elle est donc publiée le 17 octobre 1996 mais sa date d’application est celle de la mise en vigueur du livre premier du code de commerce publiée dans le BO du 3 octobre 1996. Il est évident que la loi sur la SA devait être publiée avant le code de commerce mais le nombre d’amendements et de discussions qu’elle a suscités l’a retardée. Toujours est-il que les SA constituées entre le 3 et le 17 octobre sont, de fait, «illégales» sans le vouloir.


De plus, aucun délai n’a été prévu dans cette loi pour permettre à tous les intervenants dans la constitution d’une SA (experts-comptables, secrétaire greffier, responsable du RC, notaires…) de se former et de préparer les actes et documents y afférents (statuts, déclarations diverses…). De ce fait, aujourd’hui la constitution de la nouvelle SA ne semble pas être possible. Les investisseurs qui désirent créer une SA devront d’abord passer par la SARL. Ces quelques péripéties auxquelles il faut trouver des solutions très rapidement ne doivent, cependant, pas nous occulter la nécessaire et obligatoire mise à niveau dont avait besoin la législation relative à la société anonyme dans notre pays.
Les principales caractéristiques


Ainsi cette nouvelle loi a voulu of-frir aux investisseurs marocains et étrangers un cadre juridique attrayant qui tient compte des mutations économiques, des techniques modernes de gestion et de la nécessité d’ouvrir les sociétés anonymes au marché financier.


Les principales caractéristiques relevées dans ce véritable code de la Société Anonymes concernent:
– la séparation des organes dirigeants de ceux du contrôle de la gestion;
– la mise en place d’un véritable audit financier et juridique grâce aux attributions élargies du commissaire aux comptes;
– la création de nouvelles valeurs mobilières (certificat d’investissement, obligations actions avec vote double ou sans droit de vote…);
– le renforcement considérable du droit à l’information des actionnaires;
– la création d’un réel droit de la minorité (les actionnaires possédant 10% du capital peuvent demander des audits, récuser le commissaire aux comptes, convoquer l’assemblée générale des actionnaires…);
– l’aggravation de la responsabilité des administrateurs, des directeurs et des commissaires aux comptes par des sanctions pénales et pécuniaires très dissuasives;
– des formes de sociétés nouvelles la SA avec conseil d’administration ou conseil de surveillance et directoire à l’allemande et la SA simplifiée.


La nouvelle SA n’exige plus que cinq actionnaires au lieu de sept mais le capital minimum est fixé à 300.000DH pour les SA ne faisant pas appel public à l’épargne et 3.000.000 de DH pour les autres. Une SA qui a plus de cent actionnaires est réputée faire publiquement appel à l’épargne. La valeur minimale de l’action est de 100DH et la libération du capital est toujours fixée au moins au quart du capital souscrit.


Il est à signaler que le capital doit être intégralement libéré dans les trois ans de l’immatriculation au RC et dans tous les cas avant toute augmentation du capital.


La société anonyme est administrée par un conseil d’administration composé de trois membres au moins et de douze membres au plus. Les premiers administrateurs sont désignés pour trois ans par les statuts ou par acte séparé faisant corps avec ces derniers. Les administrateurs nommés par l’assemblée générale ordinaire peuvent l’être pour six ans.


Ils sont rééligibles sauf stipulations contraires des statuts et peuvent être révoqués à tout moment par l’assemblée générale ordinaire, sans même que cette révocation soit mise à l’ordre du jour. Les actions de garantie ont été prévues par la loi mais leur nombre est déterminé par les statuts, diminuant ainsi la portée de la garantie devant être apportée par les administrateurs à l’occasion de leur gestion. Ce nombre doit être au moins égal à celui exigé par les statuts pour ouvrir aux actionnaires le droit d’assister à l’assemblée générale ordinaire.


Un salarié de la société peut être nommé administrateur mais le nombre des administrateurs liés à la société par contrat de travail ne peut excéder le tiers des membres du conseil d’administration.


Modalités de convocation


En cas d’urgence ou défaillance, la convocation du conseil d’administration peut être faite par le commissaire aux comptes. En outre, le conseil peut être convoqué par les administrateurs représentant au moins le tiers de son effectif s’il ne s’est pas réuni depuis 3 mois. En l’absence de dispositions statutaires contraires, la convocation peut être faite par tous moyens. Les modèles de statuts à créer par les professionnels devraient systématiquement prévoir ces modalités de convocation pour éviter toute discrimination. Le conseil d’administration ne délibère valable-ment que si la moitié au moins de ses membres sont effectivement présents. Un administrateur peut donner mandat à un autre administrateur de le représenter à une séance du conseil; un administrateur ne peut avoir qu’une seule procuration. Les décisions sont prises à la majorité des membres présents ou représentés, les statuts peuvent exiger une majorité plus forte. Sauf disposition contraire des statuts, la voix du président est prépondérante en cas de partage égal des voix.


Les délibérateurs du conseil d’administration sont constatées par des procès verbaux établis par le secrétaire du conseil consignés dans un registre spécial coté et paraphé par le tribunal. Une amende de 6.000 à 30.000DH sera infligée au président de séance qui n’aura pas fait constater les délibérations dans ledit registre. Pour éviter toute sorte d’abus constaté dans la gestion des SA, le législateur a édicté qu' »à peine de nullité du contrat, il est interdit aux administrateurs autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers.


«Toute convention intervenant entre une société anonyme et l’un de ses administrateurs doit être soumise à l’autorisation préalable du conseil d’administration». Le président est tenu d’aviser le commissaire aux comptes dans un délai de trente jours de l’existence de ces conventions et ce dernier présente un rapport spécial à la plus prochaine assemblée.
Le conseil d’administration élit en son sein un président qui est, sous peine de nullité, une personne physique. Le président assume, sous sa responsabilité, la direction générale de la société et les dispositions des statuts où les décisions du conseil d’administration limitant les pouvoirs du président ou du directeur général sont inopposables aux tiers.

Les Sanctions

Les sanctions prévues en cas de non-respect de certaines dispositions légales s’appliquent aux administrateurs y compris le président et aux directeurs généraux extérieurs au conseil et sont énumérées, de manières non limitative, ci-après:
· Emprisonnement de un à six mois et/ou une amende de 100.000 à 1.000.000 de DH en cas de distribution de dividendes fictifs, de publication ou de présentation aux actionnaires des états de synthèse annuels ne donnant pas une image fidèle des opérations, de l’usage contraire aux intérêts de la société de ses biens ou de son crédit. L’utilisation de mauvaise foi des pouvoirs légaux ou des voix leur appartenant à un usage contraire aux intérêts économiques de la société est sanctionnée de manière identique.
· Amende de 60.000 à 600.000DH en cas de non convocation de l’assemblée générale ordinaire appelée à approuver les comptes dans les 6 mois de la clôture de l’exercice.
· Amende de 4.000 à 20.000DH en cas de non-expédition à tout actionnaire qui en a fait la demande, une formule de procuration conforme aux prescriptions fixées par les statuts, ainsi que:
– la liste des administrateurs;
– le texte et l’exposé des motifs des projets de résolutions inscrits à l’ordre du jour;
– le cas échéant, une notice sur les candidats aux organes d’administration, direction ou de gestion;
– les rapports du conseil d’administration et des commissaires aux comptes qui seront soumis à l’assemblée;
– s’il s’agit de l’assemblée générale ordinaire annuelle, les états de synthèse annuels.
· Amende de 8.000 à 40.000DH en cas de non-mise à disposition de tout actionnaire au siège social des documents énumérés par la loi.
· Amende de 40.000 à 400.000DH s’il n’est pas dressé un inventaire des différents éléments de l’actif et du passif social, établi les états de synthèse annuels et un rapport de gestion. Cette disposition s’applique pour le défaut de dépôt au greffe du tribunal dans les trente jours de leur approbation des états de synthèse et du rapport du commissaire aux comptes.
· Emprisonnement de un à six mois et/ou amende de 10.000 à 50.000DH si le conseil d’administration ne provoque la désignation des commissaires aux comptes et ne les convoque à toute assemblée d’actionnaires.
· Emprisonnement de un à 6 mois et/ou amende 6.000 à 30.000DH pour toute personne ayant mis obstacle aux vérifications ou contrôles des commissaires aux comptes ou qui leur aura refusé la communication sur place de toutes les pièces utiles à l’exercice de leur mission.
Les premiers administrateurs sont solidairement responsables du préjudice causé par le défaut d’une mention obligatoire dans les statuts ainsi que par l’émission ou l’accomplissent irrégulier d’une formalité prescrite par la loi pour la constitution de la société. L’action en responsabilité contre les administrateurs, toute action qu’individuelle se prescrit par cinq ans, à compter du fait dommageable ou s’il a été dissimulé, de sa révélation. Toutefois, lorsque le fait est qualifié de crime l’action prescrit par vingt ans. La recherche de responsabilité des administrateurs qui est sanctionnée durement s’inscrit dans le droit fil de la moralisation des affaires et de la transparence sans lesquelles il ne peut y avoir de saine concurrence et d’émulation porteuse de progrès et d’innovation.

Cependant il est tout aussi nécessaire sinon indispensable d’assurer, dans la même foulée, la mise à niveau de l’environnement des entreprises au niveau de la formation de tous les intervenants (ministères du commerce et de la justice, l’ordre des experts-comptables, la chambre notariale…), de la mise en place de structures juridiques adéquates et la diminution des délais liés aux décisions de justice dont dépend aujourd’hui l’existence d’un droit des affaires. Le rôle du commissaire aux comptes est prépondérant dans la loi sur les sociétés anonymes et sa responsabilité peut être recherchée dans de très nombreux cas donnant lieu à de lourdes sanctions pénales et/ou pécuniaires. Pourtant les organes d’administration ne sont pas obligés par un texte de loi de rémunérer à leur juste valeur les travaux des commissaires aux comptes.

M. JCI